Industrie du packaging beauté : l’union fait la force !

En ces temps pour le moins troublés, il apparaît plus que jamais utile de donner la parole aux dirigeants qui ont façonné au cours de ces trente dernières années l’industrie du packaging Beauté d’aujourd’hui. Un retour d’expérience sur ces « trente glorieuses » d’un secteur aujourd’hui souvent plus attaqué que défendu mais aussi un constat sur la situation actuelle et, bien sûr, un peu de recul et de bon sens qui tombent bien à un moment où tout semble basculer. Une conclusion : « Plus que jamais, l’union fait la force »
Ludovic Anceau fait partie de ceux-là. Il a débuté dans ce secteur du packaging Beauté en 1989 comme Chef des Ventes chez Socoplan. En 1996, il rejoint le Groupe Techpack en tant que Directeur Commercial de Lir France qui sera ensuite repris par le Groupe Pechiney, puis Alcan dont il devient le Directeur Commercial du Pôle Maquillage. En 2004, il rejoint à nouveau Socoplan qui est devenue une filiale du Groupe Ileos, en tant que Directeur Général, avec pour mission de croître de manière externe et de s’implanter à l’international, qu’il transforme en Bioplan Beauty. En 2015 Bioplan fusionne avec Arcade. Le groupe devient Arcade Beauty. Il quitte le groupe en 2017 après avoir accompagné la fusion et se lance dans le management de transition. Il rejoint le groupe PSB fin 2017 en tant que Directeur Général de transition pour Texen. Il quitte PSB début 2021.

Vous faites partie des personnalités qui ont largement participé pendant plus de trente ans au développement de l’industrie du packaging destiné au secteur de la Beauté ! Une industrie qui est confrontée aujourd’hui à de multiples défis. Qu’est ce qui a fondamentalement changé aujourd’hui par rapport à ceux que vous avez rencontrés en son temps ?   

Ludovic Anceau : Il est clair que nous avons bénéficié à partir de la fin des année 80, d’une fantastique période de croissance des besoins dans un contexte de mondialisation au sein duquel le financement des investissements restait accessible sans inventer des business plan sensationnels. De surcroît, l’internationalisation de nos clients nous permettaient de trouver des relais de croissance à l’étranger ou par croissance externe lorsque l’un de nos marchés disparaissait et qu’une nouvelle opportunité apparaissait.
Dans le cas particulier de la France, les acteurs industriels du packaging ont en outre bénéficié de la couverture des grandes marques d’origine française, dont les centres de décision et de production beauté sont restés localisés en France et pour lesquels une production de proximité restait un atout.
A l’époque la menace environnementale et climatique, bien que perceptible, n’était pas considérée comme existentielle, à l’exception du danger d’altération sévère de la couche d’ozone dans la haute atmosphère du fait des CFC que le traité de Montréal en 1987 a permis de supprimer après une campagne internationale exemplaire.

A cette époque, la plupart des industriels mondiaux étaient encore des PME et des ETI dirigées par des fondateurs charismatiques que nous admirions. Tout le monde se connaissait. Les problèmes se réglaient à « la pogne », sans courriel qui n’existaient pas, sans visioconférences qui étaient de la science-fiction, ni power-points qu’aucun esprit réducteur n’avait encore imposé, et nous sautions dans notre voiture ou un avion (il y avait encore peu de TGV) pour régler un problème. Nous avions de longs moments de calme pour réfléchir, car le smartphone n’existait pas non plus. C’est vous dire que tout cela a radicalement changé depuis.
Si la plupart de nos entreprises s’en sortaient bien, Il y a eu aussi beaucoup de bouleversements. Des délocalisations ont entrainé des fermetures de sites. Des cultures d’entreprise ont été transformées, certaines même détruites. Il a fallu gérer des souffrances liées aux fusions/acquisitions, mais le contexte de croissance les rendait supportables par le collectif. Finalement le tissu industriel clients et fournisseurs, s’est trouvé relativement préservé en France, voire renforcé par les profits de l’internationalisation, et de nombreux noms et cultures d’entreprises fondatrices du marché perdurent encore aujourd’hui, y compris au sein de certains groupes. C’est une vraie satisfaction d’y avoir contribué.

Entre 2005 et 2007, le climat change !

Ludovic Anceau : Effectivement, les premières interférences stratégiques, externes, je veux dire non liées à nos performances économiques, sont apparues au début des années 2005/2007 en corrélation avec la prise de conscience de la dangerosité des désordres climatiques et des pollutions liées aux activités humaines. Elles résultaient de choix politiques et sociétaux, principalement réglementaires (Reach par exemple en 2007), renforcées ensuite par des démarches globales de type ESG. C’était une contrainte financière supplémentaire, mais elle était acceptable et acceptée car l’ensemble des pays et des acteurs du marché de la beauté était engagé sur le sujet et souscrivait à leur financement.
En parallèle, de nouveaux marqueurs systémiques sont venus altérer notre confiance en matière de sécurité, comme l’attentat du World Trade Center le 11 septembre 200, irruption de la guerre directe dans la sphère occidentale, La crise du SRAS en 2002 en Asie, annonciatrice du Covid avant d’être confinée en Asie, la crise financière et économique de 2008, cycle conclu en majesté en 2020 par la crise du Covid. Tout ceci a incontestablement pénalisé nos entreprises, en particulier leur capacité d’anticipation et d’investissement.

Ludovic Anceau

Ludovic Anceau

Pourtant, à la sortie du Covid, c’est l’euphorie !

Ludovic Anceau : Il est un fait que cet « après » Covid a généré deux ans de ce que l’on a appelé une « bulle » de croissance liée à la reconstitutions des stocks. Dans la foulée, les dirigeants de l’industrie du packaging beauté fortement internationalisée, se sont vus confrontés simultanément à tous les défis schizophréniques de la société actuelle (risques géopolitiques, retournement politique aux États-Unis, retour des barrières douanières, déclassement du niveau de vie des classes moyennes qui ont fait la croissance des dernières années, hausses incontrôlables des charges et des couts, approche des échéances du décret « 3R » sans oublier la progression des géo-risques, tangibles mais déniés, suspectés d’être liés au réchauffement climatique, capables de transformer votre plus belle usine en décor de « The last of us ».
En outre le découplement (puisque c’est le terme utilisé) des USA et de la Chine de l’économie mondiale remet en jeu les règles commerciales et industrielles régissant 60% du marché de la beauté.

On parle beaucoup de réindustrialisation du monde occidental des fournisseurs du secteur beauté en particulier aux Etats-Unis, en Angleterre et en France. Au regard de ce que vous avez connu et de l’évolution actuelle de l’industrie de ce secteur, est-ce réaliste et si "oui" comment, selon vous, réussir (ou pas !?) ce pari ?

Ludovic Anceau : Une remarque importante en préambule, pendant toute cette période, ce secteur de ces fournisseurs travaillant pour l’industrie de la Beauté, ne s’est pas désindustrialisé totalement en France et en Europe de L’Ouest si l’on compare à d’autres biens de consommation.
Certes, certains segments de produits, lorsque cela faisait sens, ont été délocalisés vers les zones dites « low cost », pour être réexportés vers l’Europe. Mais cela répondait aussi aux besoins émergents de marchés locaux en très fortes croissance. La production Européenne a perdu des parts de marché et a dû réduire ses capacités mais a su maintenir, voire rénover des centres industriels d’excellence ainsi qu’une forte expertise dans tous les domaines de la chaine de valeur (formulation, conditionnement, packaging plastique, verre, métal, carton) en France, Allemagne, Italie, Espagne, Pologne, Benelux et Malte pour citer les principaux pays. De fait il n’est pas nécessaire de réindustrialiser car les usines et les compétences existantes pourraient tout à fait accueillir ces transferts retours si les clients le décidaient ou si la logistique mondiale se grippait. Toutefois les acteurs dits « low cost » se sont depuis automatisés et ont renforcé leurs avantages « low cost ». C’est un fait que, pour l’instant, sans durcissement des règles de commerce, les écarts de prix restent importants.
En revanche, c’est vrai qu’aux États-Unis la désindustrialisation dans le domaine du packaging a été plus radicale, excepté dans les domaines des grandes séries et des gros volumes, davantage grand public comme les flacons, les pompes, le verre, le métal et le conditionnement qui ont bien résisté.

Les Etats-Unis sont plus que jamais au centre de ce débat en matière de réindustrialisation. Trump « oblige » ! Qu’en pensez-vous ?

Ludovic Anceau : Lorsque j’ai rejoint ce marché, plusieurs industriels avaient tenté des implantations aux Etats-Unis sur le marché du sélectif et du mass tige dans les années 90, mais les volumes étaient insuffisants et les séries trop aléatoires pour atteindre une taille critique. Elles ont dû progressivement être fermées.
En parallèle se sont développées de façon plus massives qu’en Europe, les maquiladoras au Mexique en Near Shore, la sous traitance en Asie, principalement en Chine mais aussi Corée, Indonésie et Thaïlande, et l’importation de produits finis fabriqués en propre par les marques sélectives internationales et/ou importés en full service à partir d’Asie.

Aujourd’hui ces nouveaux droits de douane, sans même mentionner l’effet taux de change, représentent certainement une opportunité pour réindustrialiser aux Etats-Unis dans le domaine du packaging, en profitant du programme IRA et de l’attractivité nouvelle du pays en termes de couts salariaux et de couts énergétiques. Mais ce transfert sera lent car il faut, contrairement à l’Europe, reconstruire les expertises et réinvestir dans des systèmes de production complets notamment pour le marché sélectif, enfin la fragmentation des productions entrainera une réduction des séries locales, affectant leur productivité.

C’est une réelle opportunité pour les industriels du packaging ayant conservé une capacité industrielle aux Etats-Unis, en particulier pour les conditionneurs à façon. Les autres devraient pouvoir établir des partenariats avec des acteurs américains ou créer des hub industriels en Joint-Venture pour accompagner leurs clients sur place en wall to wall.
Les marques clientes auront le leadership du projet car c’est le site de production des formules et du remplissage qui induit le choix du site de production des packagings, en fonction de l’impact marketing du « made in » et des couts logistiques.

Mais c’est un travail de titan car il va falloir analyser tous les produits concernés sur toute la chaine de valeur. Calculer l’impact des droits de douane sur les prix de revient de productions très imbriquées entre les composants fabriqués dans différentes zones douanières, modéliser l’élément de la chaine de valeur sur lequel il sera le plus opportun de charger les droits de douane et enfin sélectionner les articles transférables avant d’être en mesure d’évaluer l’opportunité économique d’un transfert comparés à l’absorption ou au transfert vers le consommateur des droits de douane !

Ludovic Anceau : C’est exact mais il faudra bien le faire, et pour répondre à votre question initiale, de mon point de vue, ce n’est pas un pari mais un calcul et un challenge en termes de stratégie industrielle, de financement et d’exécution. Cela aura des conséquences sur les volumes Européens mais ouvrira des perspectives aux Etats-Unis.
Avec 30 % de droit de douane sur la Chine et 15% sur l’Europe, « it makes sense ».
Ce qui reste un pari c’est de prévoir comment vont évoluer les droits de douane au grès des prochaines négociations ou du prochain bras de fer géopolitique.

La préservation de l’environnement est devenue l’un des premiers sujets, sinon le premier, que doivent gérer les fournisseurs de ce secteur. Quelles conséquences directes, selon vous, sur le développement et sur les capacités d’innovation du secteur ?

Ludovic Anceau : Sachez tout de même qu’il y a vingt ans la préservation de l’environnement et de la santé du public était déjà un sujet majeur pour les professionnels de l’emballage, au point de faire partie de notre ADN. Le premier rapport du GIEC a été publié en 1990, mais la prise de conscience d’une situation plus grave que prévue date de 2007 et n’a fait que se renforcer chaque année. La mise en place de REACH en 2007 à imposé des changements majeurs sur les ingrédients des formules et des matériaux qui nous ont préparés à gérer sur le long terme des transformations complexes. En parallèle la mise en place d’indicateurs s’est vue consolidée par les démarches ESG qui l’inscrivait dans un momentum global, et ce jusqu’à la crise du Covid.

Mais le problème n’était pas seulement le marketing et le développement en matière de capacité d’innovation. C’est aussi un problème d’industrialisation compétitive et donc de financement des investissements sans connaitre encore exactement leur champ.

Ludovic Anceau : Nous sommes allés jusqu’au bout des actions « soft » (KPI commun établis et suivis par des organismes neutres, action de réduction ou de compensation d’émissions de CO2, partenariat avec des ONG, déploiement progressif et tâtonnant des matières recyclées) pour parvenir en 2019 à l’aube de l’étape décisive de la transformation, c’est-à-dire basculer concrètement sur les projets les plus avancés et démarrer la transformation profonde de nos industries, évaluer concrètement les investissements nécessaires pour y parvenir et anticiper les risques induits pour nos filières si nous nous engagions dans une mauvaise direction ou si des segments majeurs de nos savoir-faire étaient compromis.
Or, on ne transforme pas aussi profondément une industrie en claquant des doigts !
Ceci ne peut fonctionner que dans un cadre global où tous les acteurs mondiaux, incluant les États, les marques et les consommateurs de produits finis, se soumettent aux même règles, acceptent les surcouts et les risques induits et que les risques sociaux liés aux impacts des baisses de volume sur certaines filières soient accompagnés par des politiques publiques d’aide à la reconversion.
Les démarches ESG permettant d’envisager ce cadre vertueux.
En conséquence, la nécessité de préserver l’environnement est certes toujours le premier sujet, mais c’est désormais devenu le premier sujet de discorde.
Au-delà des rhétoriques clivantes ou d’aucuns démontrent sans vergogne tout et son contraire, y compris l’opposé de ce qu’eux même affirmaient auparavant, les décisions à prendre pour un dirigeant de l’industrie de l’emballage vont être cruellement basiques, quel que soit son opinion personnelle sur les enjeux écologiques, Il s’en remettra à la demande des marques clientes, entre les marques vertueuses qui poursuivront la démarche et le soutiendront, et les marques moins disantes qui seront moins exigeantes sur le critère environnement dans leurs critères d’achats, notamment aux États Unis.
Si l’alternative écoconçue coûte moins cher car plus simple, tout le monde sera gagnant. Dans le cas contraire, le risque est d’aboutir à une concurrence inéquitable des moins vertueux par le prix, au détriment des « best in class ».

Le nerf de la guerre, sans doute encore plus aujourd’hui que par le passé, reste la capacité financière d’investissement. Dans ce contexte, les rapports de force ont-ils changé par rapport aux trente dernières années que vous avez vécu et dans quelles proportions ?   

Ludovic Anceau : Fidèle à l’air du temps, Je n’ai pas les chiffres mais j’ai une opinion ! Mon sentiment est que nous avons accompagné la croissance de nos clients. Schématiquement le marché s’est créé mondialement autour de PME et d’ETI entrepreneuriales créées localement dans les années 75/80 autour de quelques clients clefs déjà internationaux. Le rapport de force était en faveur de la technique, de la présence commerciale des dirigeants et de la confiance absolue entre équipes clients et fournisseurs. Se sont ensuite développés des conglomérats constitués dès la fin des années 80/90 par des investisseurs industriels, consolidant ces ETI historiques en ensembles industriels de taille critique, les rapports de force ont évolué au profit des architectes industriels, de ces fameux « Cost killers », des spécialistes de la productivité, capables de consolider ces ensembles diversifiés et dotés de solides moyens financiers. Ces capitaines d’industrie ont ensuite à partir des années 2000 cédé leurs chef d’œuvres à des investisseurs financiers et des fonds d’investissement. Ces derniers ont complété la logique industrielle par une logique financière, facilitant les investissements conséquents mais aussi l’endettement combiné à des exigences de génération de cash plus élevées. Donc le nouveau rapport de force était clairement financier.
Puis le Covid a mis tout le monde en vacances durant quelques mois, puis le nerf de la guerre est devenu la guerre des nerfs : le pouvoir est désormais aux influenceurs clivants dont les actions rebattent les cartes de l’économie mondiale et la déstabilisent, et à la Tech en situation de monopole sur ses spécialités qui prélève des rentes colossales sur l’économie industrielle qu’elle appauvrit et refuse de financer par l’impôt les États et les autorités de régulations dont l’aide serait précieuse pour accompagner la transformation de la vieille industrie.
En parallèle d’autres acteurs ont fait leur chemin que sont les ETI familiales qui ont conservé leur indépendance en France, mais aussi en Allemagne et en Italie, ainsi que des startup qui se sont créées sur des segments packaging innovants, notamment dans le domaine environnemental, dont la souplesse complète les grosses structures. Elles représentent certainement un potentiel de croissance, si la réorganisation des marchés ne brise pas leur dynamique et si elles sécurisent leurs ressources financières.
Enfin des oligopoles, voire des monopoles, de fournisseurs de matières premières, notamment recyclées, et d’énergie se sont constitués, renforçant leur « pricing power » sur les industriels du packaging, ce qui réduit d’autant leur marge de manœuvre en période de crise.
Désormais, le défi pour les acteurs du packaging de toute origine (français, européens, asiatiques, américains) qui ont tant collaboré dans le passé et sont souvent devenus amis, est de conserver leurs plateformes de coordination car l’union fait la force, et de créer de nouvelles formes d’alliance pour s’adapter à la nouvelle fragmentation des marchés, dans un contexte de discorde sur les priorités environnementales.