Les jeunes et le travail : un attachement exigeant

On entend souvent de la part des entreprises, des remarques récurrentes du type « les jeunes seraient moins impliqués, peu motivés, peu fidèles vis-à-vis de leur employeur ».
Mais que recherchent vraiment les jeunes dans le travail ?
Une étude publiée par l’Institut Montaigne à l’automne 2024 [1], consacrée au rapport des 16-30 ans au travail, apporte des éléments de réponse. Explications par Iouila Mikaïloff, Identités Remarquables.

Cette étude montre qu’au-delà des idées reçues, les jeunes entretiennent un lien solide avec le travail, mais nourrissent des attentes plus fortes, plus sélectives et parfois plus lucides.
L’insatisfaction qu’ils expriment vient moins d’un désintérêt que d’un décalage entre leurs aspirations et la réalité qu’ils rencontrent.

Le travail reste une valeur centrale

Près de 80 % des jeunes actifs affirment qu’ils continueraient à travailler même sans nécessité financière.
Le travail reste un repère identitaire, une source de lien social et de dignité.
Mais leur regard sur ce qu’il doit apporter a changé : ils souhaitent un équilibre global, où la performance professionnelle ne s’oppose pas à la qualité de vie.
Leurs priorités se dessinent clairement :
• La rémunération, jugée essentielle.
• L’équilibre vie professionnelle / vie personnelle, devenu un marqueur fort.
• La réduction du stress, notamment dans les environnements à forte pression émotionnelle.
• Des perspectives d’évolution et une autonomie réelle.
• La qualité des relations avec les collègues et la hiérarchie.
À l’inverse, certains critères souvent valorisés dans le discours public (comme la RSE ou la mobilité interne) apparaissent secondaires pour la majorité. Ces critères ne compensent pas ce qu’ils ressentent comme un quotidien déséquilibré (!?).

Iouila Mikaïloff - Identités Remarquables

Iouila Mikaïloff - Identités Remarquables

Des attentes façonnées par le diplôme et la filière

L’enquête souligne que le rapport au travail varie fortement selon le niveau de diplôme et le type de parcours. Plus le niveau d’études est élevé, plus les attentes le sont aussi : reconnaissance, progression, intérêt du poste. Ce sont aussi ces profils, souvent issus des métiers de services ou du commerce, qui se disent les plus frustrés lorsque la réalité ne correspond pas à leurs ambitions.
Les jeunes femmes se distinguent par une exigence plus marquée encore : elles accordent une importance particulière à la rémunération, à l’équilibre des temps et à la qualité du management.
Présentes dans des métiers où la charge émotionnelle est forte (relation client, vente, coordination) elles expriment aussi davantage de fatigue et de pression psychologique.

Frustrations et réalités du terrain

En moyenne, les jeunes actifs attribuent à leur satisfaction au travail une note comprise entre 6,5 et 6,8 sur 10  : un niveau correct mais plein de contrastes.
Les principales sources de frustration sont :
• la rémunération,
• le stress,
• le déséquilibre entre temps de travail et temps personnel,
• les possibilités limitées de télétravail,
• le manque d’autonomie.
À l’inverse, la qualité des relations avec les collègues et la cohérence entre emploi et formation apparaissent comme des points plutôt positifs.
Les profils les plus déçus se recrutent parmi les filières de services et les diplômés en lettres, SHS ou santé, tandis que les titulaires de BTS et DUT montrent une meilleure adéquation entre attentes et réalité.

Le rapport à la hiérarchie : moins de défiance qu’on ne le croit

Seuls 10 % des jeunes rejettent totalement l’autorité hiérarchique. La majorité l’accepte, à condition qu’elle s’exerce dans un cadre clair et respectueux.
L’insatisfaction ne vise donc pas la hiérarchie en elle-même, mais le style de management (manque d’écoute, reconnaissance insuffisante, communication défaillante).
Ce besoin de respect mutuel et de cohérence se retrouve particulièrement dans les métiers où les relations humaines sont centrales (commerce, hôtellerie, service client ou luxe).

Stabilité et désir d’indépendance : un paradoxe assumé

Les jeunes expriment simultanément le souhait de stabilité et le goût du changement. 62 % disent préférer une carrière durable au sein d’une même entreprise, mais 60 % envisagent malgré tout de la quitter dans les cinq ans.
Cette mobilité n’est pas un signe d’instabilité, mais la recherche d’un meilleur alignement entre valeurs, mission et environnement.
Près de la moitié des jeunes salariés se déclarent attirés par l’entrepreneuriat. Non pour « quitter » le travail, mais pour retrouver de la liberté et de la maîtrise sur leur activité.
Cette aspiration à l’indépendance traverse toutes les catégories, y compris les jeunes satisfaits de leur emploi.

Quatre profils, quatre rapports au travail

L’Institut Montaigne distingue quatre grandes postures :

ProfilPart des jeunesCaractéristiques principales
Les frustrés 28 % Attentes élevées, déception marquée. Souvent des femmes employées.
Les fatalistes 20 % Attentes faibles, résignation tranquille. Fréquemment issus des filières de production.
Les rebelles 20 % Satisfaits de leur emploi, mais rétifs aux contraintes hiérarchiques. Fort désir d’autonomie.
Les satisfaits 32 % Bon équilibre entre attentes et réalité. Confiants, stables ou mobiles selon les opportunités.

Ce panorama invite à dépasser les clichés : il n’existe pas “la” jeunesse au travail, mais une diversité de trajectoires et de logiques individuelles.

L’adaptation, clé d’un dialogue renouvelé

Les jeunes ne se détournent pas du travail : ils en redéfinissent les contours.
Ils cherchent moins à rompre qu’à réconcilier performance, respect et équilibre.
Leur regard, souvent perçu comme critique, exprime en réalité une exigence de cohérence : celle d’un monde professionnel aligné avec leurs valeurs et leurs aspirations.
Une certaine fracture générationnelle entre les jeunes et les seniors traverse les entreprises car ils ont des visions du travail très différentes mais pas incompatibles.
L’étude Montaigne en donne une explication : cette fracture appelle avant tout une adaptation réciproque, des jeunes comme des entreprises, pour construire des relations professionnelles fondées sur la compréhension plutôt que sur la méfiance.


Ioulia Mikaïloff
Identités Remarquables - ioulia.mikailoff@identites-remarquables.fr