Aluminium : Avantages et Contraintes

Avec l’objectif d’aider les acteurs à effectuer des choix éclairés sans céder aux effets de mode, et après avoir analysé le verre, Gérald Martines* examine ici le cas de l’aluminium. Pour ce matériau, les considérations sont assez similaires à celles du verre car il s’agit également d’un matériau qui bénéficie d’une image ‘circulaire’ en raison de sa très bonne recyclabilité et sa collecte qui est relativement efficace. « MAIS » (!) comme le verre, c’est un matériau à fort contenu énergétique dont la ressource est finie et que ce soit par rapport au verre et au plastique, l’aluminium a l’empreinte carbone la plus élevée ! Démonstration….

L’aluminium, comme le plastique et contrairement au verre, permet de réaliser des emballages légers, optimisant la quantité de matière utilisée. Par exemple pour réaliser un flacon de 100 ml il faut environ 15 grammes de PET, 19 grammes d’alu et 100 grammes de verre. Il a par contre, de ces trois matériaux l’empreinte carbone la plus élevée ; pour reprendre l’exemple des flacons-types ci-dessus, en valeurs indicatives, le flacon en PET aura une empreinte 30 gCO2e, 85 pour le verre et 150 pour l’alu [1].
L’aluminium est également le seul matériau, avec le plastique, à permettre de réaliser des packagings mono-matériau (ou quasiment mono-matériaux) : canettes, tubes à bouchon alu, tubes de rouge à lèvres à mécanisme alu, boîtiers à miroir alu, flacons de parfum avec pompe (la pompe comporte du plastique mais l’ensemble sera détecté en centre de tri comme de l’alu, et lors du recyclage les quelques grammes de plastique seront vaporisés lors de la refusion de l’alu, au même titre que les vernis de protection intérieure et de décor).
En contrepartie, un packaging en aluminium est plus sensible que ceux en verre ou en PET aux petites dégradations esthétiques, chocs, rayures… ce qui peut être problématique pour des packs réutilisables dont on attend qu’ils restent attrayants sur une longue plage d’utilisation.

L’un des plus recyclés au monde et des plus efficaces !

L’aluminium est l’un des matériaux les plus recyclés au monde, et depuis longtemps, et, contrairement au verre, son recyclage est très efficace : l’essentiel de son contenu énergétique est en effet mis en œuvre pour l’extraction et le raffinage initial, et il faut 10 fois moins d’énergie pour de l’alu recyclé que pour du matériau vierge. Toujours pour notre flacon-type de 100 ml, s’il est réalisé à 100% en PCR on obtient une empreinte carbone de 12 g/CO2e pour le rPET mécanique, 15 pour l’alu et 67 pour le verre (en remarquant que les applications ‘luxe’ spécifient typiquement entre 15 et 40% de PCR, limitant d’autant la réduction de l’empreinte carbone obtenue par l’usage de matériau recyclé).

… mais peut-on faire mieux !

Pour autant l’aluminium subit des limitations incompressibles au niveau de l’efficacité de la collecte et du recyclage. La plupart de ces limitations sont communes à tous les matériaux, mais certaines lui sont spécifiques. Quelles sont-elles ?
Concernant la collecte, même dans les économies développées – qui font figure de ‘bons élèves’ (ou de ‘moins-mauvais’ élève) – on constate un plafonnement des chiffres de collecte. Ceci n’est pas lié à une insuffisance des infrastructures, qui sont largement déployées dans ces pays, mais résulte du comportement des usagers. On note en effet un net décalage entre les comportements domestiques et nomades. Alors que le tri à la maison est peu à peu passé dans les mœurs il en va différemment de notre comportement en mode nomade. Les gares, les stations de métro, les trains, les stations-services etc. sont maintenant majoritairement équipés de containers adaptés au tri sélectif, et pour autant ils sont souvent utilisés sans discernement, entrainant des contenus mélangés qu’il serait impossible de trier économiquement. Et les poubelles de rue sont à bac unique. Les packagings associés à la consommation nomade échappent donc en grande partie à la collecte et ne peuvent donc pas participer à la boucle de l’économie circulaire, or cette consommation nomade est devenue importante et représente une fraction significative de la consommation. Bien que ce phénomène soit assez général on constate, comme toujours en ces domaines, des différences notables entre les pays.
Concernant le recyclage lui-même, une fraction du matériau est, comme pour tout matériau, perdue lors du processus de recyclage, sous forme de particules trop petites pour être efficacement captées.

Gérald Martines - IN-SIGNES

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Les limites du recyclage !

Chaque matériau voit ses caractéristiques esthétiques se dégrader lors du recyclage : le verre acquiert une légère nuance verte et le PET un voile gris. Quant à l’aluminium, sa capacité à offrir des surfaces hautement brillantes se détériore avec le recyclage, bien que les producteurs de packaging fassent des progrès notables en la matière. Dans tous les cas les propriétés fonctionnelles ne sont pas ou sont marginalement affectées – il s’agit de l’aspect esthétique, et donc d’une propriété subjective et culturelle.
Autre élément, spécifique pour le coup à l’alu, l’aspect ‘dispersif’ : contrairement au verre qui est quasi-exclusivement utilisé dans la fabrication de composants d’emballages mono-matériaux, l’aluminium est, en plus de cet usage, utilisé comme un additif minoritaire entrant dans la composition de composants d’emballages en plastique ou en papier, pour en améliorer les propriétés barrière. C’est le cas par exemple dans les tubes dit ‘ABL’ (Aluminium Barrier Laminate), dont la paroi comporte une fine couche d’alu entre deux ou plusieurs couches de plastique. C’est aussi le cas de beaucoup de briques alimentaires constituées d’un sandwich carton-alu-PE, ou des opercules d’emballages alimentaires ou de produits de soins, constitués d’un film alu-PE. Ces structures sont difficiles ou impossible à recycler efficacement, et l’aluminium utilisé à ces applications échappe majoritairement au recyclage.
Dans le cas des briques il existe en Europe quelques usines de recyclage spécifiques qui mettent en œuvre un système élaboré permettant la séparation et le recyclage des trois types de matériaux entrant dans leur composition. Ce procédé comporte plusieurs étapes : très schématiquement on broie les emballages en paillettes qui sont ensuite plongées dans des bains alcalins qui permettent de récupérer la fraction pulpe, puis le résidus, composé d’alu et de PE est pyrolysé pour récupérer le PE sous forme de gaz ensuite réintroduit dans la chaîne de production des polyoléfines, et il reste l’alu qui peut alors être refondu en lingots. Ce procédé est celui qui permet le recyclage le plus complet, pour autant il existe très peu de sites équipés de cette technologie, qui réclame des investissements substantiels et est gourmande en énergie, surtout pour la phase de pyrolyse, ce qui alourdit son bilan énergétique. Ainsi dans la grande majorité des cas seule la première étape est mise en œuvre, et après avoir récupéré la fraction pulpe, le reste – un composite d’alu et de PE, appelé Polyal – est le plus souvent incinéré ou mis en décharge (bien que quelques usages marginaux apparaissent, comme d’en faire du mobilier urbain).

L’aluminium recyclé, très recherché…, peu disponible !

À cela s’ajoute un autre phénomène, l’effet de stock : l’alu est un matériau très utilisé pour la production de biens durables, comme des composants de bâtiments (huisseries, toitures, cloisons, mobilier…), et avec le boom mondial de la construction, lié à l’urbanisation croissante, cela représente une très forte demande. L’aluminium est aussi le matériau historique pour la construction de cellules d’avions et une solution de substitution de l’acier dans de nombreuses applications qui recherchent l’allègement, comme l’automobile et le ferroviaire. Un exemple : les premiers TGV étaient construits en acier, et lorsqu’il est devenu apparent que, pour suivre l’augmentation de la demande, il était nécessaire de passer aux rames Duplex, il a fallu les concevoir en aluminium pour éviter un alourdissement qui aurait été rédhibitoire.
L’aluminium employé dans ces réalisations est ainsi ‘stocké’ pendant des décennies. Et au global la demande pour l’alu dépasse très largement le flux de recyclage, d’où une demande importante qui continue à croître, pour l’aluminium vierge. Ceci conduit à la mise en exploitation de nouveaux sites d’extraction de bauxite ; cette activité très polluante est principalement délocalisée dans des pays du tiers-monde où elle s’accompagne souvent de déforestations et de pertes de biodiversité.
Ainsi, l’aluminium recyclé est une denrée très recherchée disponible en quantité nettement inférieure à la demande. Et quand un fabricant annonce que son pack est en alu recyclé et revendique par là une réduction significative de son bilan carbone, c’est nominalement correct, mais, en vision d’ensemble, il n’a fait que préempter une part de la fraction globale disponible d’alu recyclé à un instant « T », qui n’est du coup plus disponible pour une autre application, et le bilan global pour la collectivité n’en est pas meilleur que s’il avait utilisé de l’alu vierge.
Bref, l’aluminium, pas plus que le verre, n’est pas un matériau renouvelable, et, tout comme lui, sa ressource est finie et épuisable. De plus, il est énergivore !

Quelques bonnes pratiques pour l’aluminium !

Il faut certainement favoriser l’aluminium pour des applications durables, car, alors, son bilan carbone élevé se trouve amorti sur un grand nombre d’utilisations. Mais attention au risque de dommages visuels lors d’utilisations prolongées. En revanche, il faut éviter de l’utiliser pour des applications à usage unique quand il s’agit d’aluminium vierge car alors on multiplie la consommation d’énergie et les émissions de CO2.
Pour les applications ‘single use’ l’utilisation d’aluminium recyclé fait sens car l’empreinte CO2 est significativement réduite et proche de celle des polymères, qui restent les matériaux avec l’empreinte la plus faible.
Quant à viser une conception de packs mono-matériau, oui pour simplifier le tri sélectif en fin de vie et le recyclage. L’aluminium présente un atout de ce point de vue en raison de sa capacité à constituer des ‘mécanismes’.
Enfin il vaut mieux préférer les formats les plus grands possibles, qui minimisent la quantité de pack vs. la quantité de produit.


Gérald Martines - IN-SIGNES

*Gérald Martines a fondé́ IN•SIGNES pour mettre à disposition des entreprises de l’univers de la beauté et du luxe une riche expérience des démarches innovation, développement durable et business développement, nourrie par 30 ans de pratique dans des fonctions de direction marketing, design, R&D, commerce et direction générale, dans plusieurs groupes internationaux, leaders de l’industrie de la beauté et du design.
Titulaire d’un master de physique, d’un diplôme d’ingénieur mécanique, d’un DEA en science des matériaux, d’un MBA, et d’un master en prospective, Gérald Martines dispose d’une vue à 360° sur les différents métiers, savoir-faire et fonctions qui doivent contribuer à la réflexion stratégique à l’innovation et à la durabilité.


[1valeurs indicatives en grammes de CO2-équivalent, source ADEME, calculs In•Signes