Packaging Beauté et Environnement : Vers une rupture sans précédent !

Les fabricants d’emballages destinés au secteur de la beauté et du luxe sont confrontés à un défi (un de plus !) et celui-là sans précédent dans leur histoire pourtant déjà mouvementée. Il n’est pas douteux que la ‘transition durable’ va constituer le cœur de cette « disruption » (ici ce mot n’est pas utilisé à la légère !). Bien que le sujet ne soit pas nouveau et qu’on pourrait penser que ce mouvement soit bien engagé, nous n’en sommes qu’au début. Les conséquences de fond sont à venir. En termes d’actions concrètes significatives, et malgré les nombreuses initiatives qui ont émergé ces dernières années (qu’il faut d’ailleurs saluer comme des pas dans la bonne direction), il est un fait que cette transition peine à passer à l’échelle supérieure (!). D’après le World Economic Forum nous n’aurions parcouru que 10% (seulement !) du chemin qu’il faudrait faire pour ‘circulariser’ l’économie. 

En ce milieu d’année 2025, on ne peut que déceler les premiers signes d’une « Sustainabilité Fatigue » aussi bien chez les consommateurs que chez les Marques même si les réalités d’un monde aux ressources finies rendent cette transition inéluctable. Elle sera d’autant plus brutale si on tarde à la gérer et on ne pourra que la subir.
Les Marques naviguent entre les attentes des consommateurs (souvent contradictoires – voire schizophréniques) et une pression réglementaire croissante, le tout avec des perspectives économiques incertaines. Certaines Marques sont réellement sincères dans leur prise de position en faveur de la durabilité et en ont fait un élément central de leur vision et de leurs actions. Pour d’autres, bien que le discours marketing bien rodé se soit emparé très tôt du sujet pour afficher en façade une démarche qui se veut irréprochable, le sujet est plutôt vécu comme un « empêcheur de faire du business en rond ».

Plastiques : Que faire ?

Le problème le plus immédiat, attisé par la très médiatique crise de la pollution plastique, est celui de sa substitution par des matériaux considérés comme plus responsables [1] : verre, aluminium, pulpe de cellulose… Or ce n’est pas si simple ! 

Du côté de la cellulose, et bien que d’énormes travaux d’innovation soient en cours pour la ‘fonctionnaliser’ (lui conférer les propriétés barrières qui lui font défaut), ce matériau a encore beaucoup de chemin à parcourir avant de pouvoir se substituer totalement au plastique, c’est à dire sans barrière plastique additionnelle, même biosourcé, et sans PFAS. 
Et, malgré les progrès remarquables des technologies en matière de pulpe moulée, celle-ci reste d’application limitée sur le secteur de la beauté.

Du côté du verre et de l’aluminium, ces matériaux doivent le plus souvent être associés à un peu de plastique, sauf à renoncer à des fonctionnalités considérées comme évidentes (pompes, pipettes, applicateurs, systèmes airless…). Mais on peut néanmoins espérer obtenir des packs avec moins de plastique…

Malgré tout, ces « substitutions » engendrent le plus souvent un renchérissement du pack ce qui n’est pas l’idéal à une époque où le pouvoir d’achat des consommateurs ne cesse d’être amputé et où certaines marques sont en difficulté. Quant à la communauté des fabricants de packs ces substitutions de matériaux font évidemment le malheur des uns et le bonheur des autres.

Tout changer !

Or il faut bien se rendre compte que les initiatives dominantes actuelles dont celles de rendre les emballages plus recyclables, d’intégrer du PCR, de substituer le plastique, de proposer des modèles rechargeables, pour n’en citer que quelques-unes, ne font qu’effleurer le problème.
Atteindre un stade où cette industrie de la Beauté sera réellement ‘sustainable’ (si tant est que ce soit possible !) va réclamer beaucoup plus. Et nous n’échapperons pas à terme à une inéluctable reconfiguration de la « Société de Consommation » dans son ensemble, sachant que le secteur de la Beauté n’en est qu’une petite partie. Cette reconfiguration va imposer une refonte en profondeur de l’ensemble des Business Models de toutes les chaînes de valeur, intégrant plus de frugalité, plus de réutilisation, et un virage vers l’économie de la fonctionnalité (acheter un service plutôt qu’un produit).
La frugalité, concept qui fâche, souvent présentée comme une obsession d’activistes marginaux, va, qu’on le veuille ou non, inéluctablement s’imposer tôt ou tard, car les ressources et l’énergie vont devenir de plus en plus contingentées. Il faudra bien procéder à des arbitrages. 
Les initiatives citées plus haut (recyclage, recours au PCR, substitution, réutilisation…) nous font croire que l’on peut avoir le beurre et l’argent du beurre, c’est-à-dire continuer à consommer comme avant, voire plus, au prix de quelques ajustements à la marge, tout en arrêtant de mettre en danger notre ‘life-supporting-system’. Une illusion !

Or notre industrie navigue aux antipodes de cette frugalité nécessaire. Le Business Model dominant est fondé sur une offre pléthorique en renouvellement permanent, et présente l’acte de consommer des produits de beauté comme un petit luxe abordable et ludique : ‘a quantum of solace’ que l’on s’accorderait à soi-même, « parce qu’on le vaut bien ! »

Ce renouvellement permanent favorise le jetable et l’aspect luxueux favorise le suremballage. Quelques chiffres pour en réaliser l’ampleur : il faut trente grammes de plastique pour contenir un litre et demi d’eau (1.500 grammes) ; et il faut aussi trente grammes de pack pour emballer trois grammes de rouge à lèvre ; le ratio est de 500 ! Et là où la bouteille d’eau est intégralement recyclable, c’est loin d’être le cas pour la majorité des tubes de rouge à lèvres.

Réutilisable, un avenir sous condition

Si on ne veut pas vivre comme les Amish, l’une des voies que l’on peut considérer comme « royales » pour combiner désirabilité, différenciation de la marque ET durabilité est sans aucun doute la réutilisation. Les modèles réutilisables engendrent plus de liberté pour les marques pour investir dans des emballages de plus grande valeur, plus désirables, plus fonctionnels, favorisant une meilleure expérience client et incitant à la fidélisation. Sans aucune comparaison par rapport au coût cumulé et à l’impact environnemental de l’utilisation des emballages à usage uniques.
Mais, pour que ce modèle se montre efficace, il faudrait que les packs réutilisables soient effectivement réutilisés, en gros au moins cinq fois. Pour cela il faudrait une adoption massive de ce système par les consommateurs ce qui est loin d’être évident. Les marques ont évidemment le pouvoir d’utiliser leur influence pour accélérer ce basculement mais cela représente une menace en matière de profits. Car on constate (pour le moment) que pour qu’un système de recharge soit adopté il faut que le différentiel de prix avec le produit originel soit de l’ordre de 30%. Au global, pour cinq réutilisations c’est 25% de revenus en moins pour la franchise [2]. Et cela ne représente qu’un des freins. Plus fondamentalement, l’obsolescence programmée généré par le rythme effréné des lancements encourage le zapping, en contradiction totale avec la notion de réutilisation. 
Il n’est donc pas si étonnant que cette pratique soit finalement peu utilisée dans un contexte où les consommateurs ne cessent d’être désorientés par des injonctions contradictoires…

Pas d’autre choix !

Malgré tout, comme pour la frugalité, il faudra bien que l’on en vienne à cette notion de réemploi et d’économie de la fonctionnalité, et ceci pour les mêmes raisons : la raréfaction et le renchérissement des ressources, si ce n’est un durcissement de la réglementation dans ce sens. Et on ne parle pas ici d’un usage de niche, comme c’est le cas actuellement, mais d’un nouveau paradigme dominant.

La mauvaise nouvelle pour la communauté manufacturière est que cela se traduira obligatoirement par une baisse globale significative des volumes et des revenus. Ainsi par exemple au lieu de 6 packs à usage unique il ne faudrait plus qu’un pack ‘mère’ et cinq recharges, soit au total 50% de revenu en moins ! [3] Et il n’est pas dit que ce soit le fabricant du pack d’origine qui fournisse les recharges. En effet, la logique économique et écologique veut qu’un pot, par exemple, soit en verre et les recharges en plastique… ou en pulpe de cellulose.

Les industriels sont évidemment diversement concernés en fonction des matériaux qu’ils transforment, de leur implantation géographique, de la spécificité de leurs technologies, etc., mais tous auront besoin de réinventer leurs Business Models, et tous ne survivront pas. En tout cas, ceux qui survivront, voire qui prospèreront (car toute crise offre des opportunités aux plus visionnaires) seront ceux qui sauront regarder la réalité en face et se préparer à l’affronter lucidement. À suivre pour réfléchir aux chemins que devra prendre l’innovation.


Gérald Martines - IN-SIGNES

[1Dans le cadre de cet article, faute de place, nous ne discutons pas des bilans environnementaux comparés des différentes solutions/matériaux, mais seulement des aspects technico économiques des substitutions potentielles.

[2Hypothèses de travail : prix d’une recharge = 70% du produit initial. 6 utilisations = un pack initial + 5 recharges = 100 + 5x70 = 450, à comparer avec 6 packs à usage unique = 600 à au global 25% de revenu en moins !

[3Hypothèses de travail : coût d’un pack mère réutilisable = 150% d’un pack à usage unique et coût d’une recharge = 30% d’un pack à usage unique. 6 utilisations = un pack mère + 5 recharges = 150 + 5x30 = 300, à comparer avec 6 packs à usage unique = 600 à au global 50% de revenu en moins !