Packaging Beauté : quel est le “bon” matériau, quel est le “mauvais” ? Quid du Verre ?

Dans l’article paru fin juin, Gérald Martines* a évoqué la substitution du plastique par d’autres matériaux, motivée par la volonté de réduire la pollution plastique.
Il apparaît évident que les efforts visant à réduire/éliminer la pollution plastique sont justifiés. Mais est-ce que les solutions alternatives actuellement mises en œuvre sont aussi vertueuses que l’on pense ?
Pour Gérald Martines, « l’idée n’est certainement pas de dénigrer tel ou tel matériau, mais bien de considérer le problème de leur utilisation dans leur ensemble, sans s’arrêter à des raccourcis trompeurs ». Car, selon lui, « il n’existe pas dans l’absolu de ‘bon’ ou de ‘mauvais’ matériau pour l’emballage. Chacun porte en lui ses avantages et ses limitations relatives. Le choix d’un système de packaging est une question d’arbitrage entre des solutions toutes imparfaites, où l’on en est réduit à choisir ‘la moins mauvaise’, et où il faut renoncer à trouver LA bonne. »
L’objectif de cette nouvelle série d’articles est d’aider à faire des choix plus éclairés, et non céder à un effet de mode ou se fier à une réputation qui peut ne pas traduire complètement la réalité.

Aujourd’hui, “place au verre” !

Le verre est considéré à raison comme l’aristocrate de l’emballage, c’est le matériau de luxe par excellence.
Il est réputé recyclable à l’infini (et il est effectivement recyclé à un taux élevé dans la plupart des économies développées à raison de 80% dans l’UE, 88% en France, 99% en Suède, vs. 24 à 63% aux USA en fonction des États). Les contenants en verre, correctement conçus, sont durables et peuvent être réutilisés de multiples fois via des systèmes de consigne et de ré-remplissage. Il jouit de fait d’une très belle image de matériau ‘circulaire’, ‘sustainable’ et ‘vertueux’.
Mais en contrepartie la fabrication d’emballages en verre nécessite une très grande quantité d’énergie : il faut le fondre à des températures de l’ordre de 1600°C.
Une fois moulé il faut encore le ‘recuire’ pendant plusieurs heures à environ 600°C pour en éliminer les tensions internes dues au refroidissement brutal subi lors du moulage.
De ce fait l’énergie constitue typiquement les ¾ du bilan carbone d’un flacon [1] ou d’un pot en verre, contre ¼ pour les matières premières.
Et si lors du recyclage, on récupère la matière, on doit néanmoins consommer à nouveau quasiment la même quantité d’énergie pour un objet recyclé [2].
D’où un bilan carbone élevé, même pour le verre recyclé.
Ce bilan carbone dépend du mix énergétique utilisé pour le four et les arches de recuisson. Les fours et les arches traditionnels, chauffés au gaz naturel, émettent de grandes quantités de CO2 et contribuent ainsi au réchauffement climatique. Pour les fours électriques leurs émissions dépendent du mix électrique local ; le même four émettra quatre fois moins de CO2 en France qu’en Allemagne, car la première dispose de l’un des mix électriques les moins carbonés au monde en raison de la forte proportion de nucléaire et d’hydroélectricité, alors que chez la seconde le mix est encore dominé par le charbon, la source d’électricité la plus émettrice en CO2 [3].
Bien sûr les fabricants peuvent acheter de l’électricité d’origine renouvelable et ainsi annoncer une réduction faciale de leur bilan carbone. Cet argument est toutefois à considérer attentivement : en effet à un instant donné la quantité disponible d’électricité d’origine renouvelable est finie, ce qui est consommé par un acteur n’est plus disponible pour le reste de la communauté et, in fine, le bilan global pour la collectivité n’est nullement amélioré par le fait que ce soit tel acteur plutôt que tel autre qui utilise la part d’énergie décarbonée disponible.
Enfin notons que l’électrification à marche forcée de l’industrie et des transports (qui est l’une des conditions de la réduction des émissions à laquelle les États se sont engagés lors de l’Accord de Paris pour limiter les effets de la crise climatique) crée une pression très forte sur l’infrastructure de production et de distribution d’électricité, ce qui va être l’un des plus grands défis industriels et économiques que nous aurons à gérer dans le futur proche.
D’autres solutions alternatives sont aussi testées pour réduire les émissions des fours : fours à biogaz, à hydrogène, hybrides ; à oxycombustion (utilisation de l’oxygène plutôt que de l’air comme comburant), etc. Ces efforts sont à saluer mais toutes ces solutions se heurtent à une réalité physique têtue : le verre, vierge ou recyclé, reste très gourmand en énergie.

Énergivore, fragile et sa recyclabilité à l’infini est une promesse trompeuse !

Une deuxième limitation du verre est sa fragilité intrinsèque, qui oblige à concevoir des emballages avec des parois plus épaisses que pour d’autres matériaux, et donc à augmenter le poids des packs toutes choses égales par ailleurs. Et cette fragilité oblige à concevoir des emballages logistiques plus protecteurs et plus volumineux que pour d’autres matériaux, ce qui augmente les coûts logistiques et les émissions dues au transport.
Considérons maintenant l’argument de la recyclabilité ‘à l’infini’. Ce qui semble une promesse idéale de circularité cache en fait une réalité industrielle plus nuancée. En fait de recyclage, nous ne pouvons physiquement faire que du ‘downcycling’, chaque étape de recyclage détériorant les qualités esthétiques du verre par l’accumulation d’impuretés et d’oxydes métalliques qui colorent le verre. Ainsi, selon le niveau d’exigence des marques de beauté, on peut incorporer entre 15 et 40% de verre recyclé post-consommation pour rester dans la catégorie du verre ‘extra-blanc’. Pour comparaison dans une bouteille de bière, typiquement verte ou ambre, le pourcentage de verre recyclé peut atteindre 95%.
Revendiquer qu’un flacon de luxe est recyclable signifie en fait : ‘recyclable pour une application autre, moins exigeante qu’un flacon de parfum’, et on est loin d’un système en boucle fermée.
Et, comme tout processus industriel, le recyclage n’est pas efficace à 100%, on ne recycle pas la totalité de ce qui est trié : une partie du volume de verre est perdue sous forme de poussières et de particules trop petites pour être captées. Ajoutons que les flacons laqués ou métallisés ne sont pas reconnus comme du verre par les systèmes de tri optique et qu’ils finissent en décharge. Quant au verre teinté dans la masse il ne pourra évidemment pas être recyclé en verre blanc.
Le verre constitue donc en fait une chaîne de downcycling ouverte : au sommet de cette chaîne trône le verre extra-blanc, dont sont fait les objets de luxe, puis au fur et à mesure des cycles de ‘recyclage’ le verre se trouble, se teinte et ne pourra être utilisé que pour des applications de moins en moins exigeantes, jusqu’à finir en bout de chaîne comme ‘filler’ des revêtements de route, comme remblais, voire en décharge. In fine, il faut donc un flux permanent de matière vierge pour alimenter l’ensemble de cette chaîne ouverte, c’est à dire compenser l’ensemble des pertes, en plus d’assurer l’augmentation de la demande.
La quantité globale disponible de verre recyclé post-consommation (PCR) est donc finie à un instant donné, et inférieure à la demande globale de verre, et la question de sa répartition entre les différents acteurs se pose. Jusque récemment la situation était simple : au sommet de la chaîne le verre extra-blanc était produit à partir de matière vierge [4], puis le verre PCR était progressivement introduit plus bas dans la chaîne de downcycling, les plus gros utilisateurs étant les producteurs de bouteilles de bière. Avec la demande croissante des consommateurs, et donc des marques, pour des flacons de luxe ‘bas carbone’ les verriers ont travaillé pour introduire une part de verre PCR dans leur formulation. Ce calcin est évidemment prélevé, après un tri sévère, sur la quantité finie disponible globalement, et en ‘prive’ ainsi les autres acteurs. D’où une situation paradoxale où le luxe accapare une part de verre PCR que les applications moins nobles doivent remplacer par de la matière vierge. Ici encore, le fait que ce soit un acteur plutôt qu’un autre qui utilise la part finie de PCR disponible n’améliore en rien le bilan global pour la communauté – voire, ici, le détériore, car le tri nécessaire à sélectionner la part la plus noble du calcin représente un surcoût net et une dépense incrémentale d’énergie.
On pourrait penser que le sable est un matériau fort banal et abondant ? Eh bien non malheureusement, car le sable apte à la fabrication de verre extra-blanc doit présenter des taux d’oxydes métalliques très faibles, et peu de carrières présentent cette qualité. En outre, il existe une forte concurrence d’usage pour le sable : il est aussi consommé en quantités énormes par l’industrie de la construction, boostée par le développement urbain mondial. Il faut également du sable pour l’industrie de la tech, car les puces au cœur de tous nos gadgets sont faites de silicium, extrait du sable…
Qu’à cela ne tienne, avec tous les déserts de la planète, dont la surface s’accroît inexorablement sous la pression des usages humains et du réchauffement climatique, on n’est pas près de manquer de sable, non ? Que nenni ! Indépendamment de l’aspect discutable de l’idée d’aller siphonner les dunes du Sahara pour alimenter notre soif de consommation, ce sable très chargé en oxydes de fer donnerait un verre naturellement coloré en vert, culturellement acceptable pour des bouteilles de vin ou de bière mais bien loin du verre extra-blanc exigé par le luxe. Et usés par le vent, ses grains ronds sont tout aussi peu aptes à la construction : ainsi Dubaï, que l’on ne peut accuser de manquer de sable, a dû importer d’Australie celui utilisé pour la construction de la tour Burj Khalifa.
Il faut bien se rendre à l’évidence, le sable n’est aucunement un matériau renouvelable et sa ressource, finie, montre déjà des signes d’épuisement.

L’influence des ‘panoplies de défauts’

Le process de fabrication du verre génère inévitablement des défauts d’aspect : bulles (on dit ‘bouillons’), inclusions, glaçures, sangsues… la liste est longue. Des panoplies de défauts ‘acceptables’ sont donc négociées entre les marques et les verriers, le taux de rebut typique qui en résulte est de l’ordre de 30 à 40% pour le flaconnage de luxe, et peut aisément monter plus haut. Ce qui signifie que trois à quatre flacons sur 10 ne quittent même pas l’usine, sont cassés et deviennent du calcin interne(4).
Le niveau d’acceptabilité de ces défauts est purement subjectif, et chaque marque a ses propres exigences. Sont-elles toutes justifiées ? Qui peut le dire ? En tout cas les marques qui souhaitent réduire leur empreinte environnementale disposeraient là d’un gisement de réduction simple et immédiat, ne nécessitant aucune innovation technologique, aucun investissement, et de surcroît source d’économies. On pourrait rétorquer que le luxe est à ce prix… voire ! La perception de ce qu’est le luxe évolue et, le ‘défaut’ devient de plus en plus acceptable, voire désirable : certaines cultures valorisent même le défaut comme signe d’unicité.

Arbitrer entre pollution et réchauffement climatique !

En conclusion, quand une marque choisit le verre plutôt que le plastique elle arbitre, consciemment ou non, entre pollution et réchauffement climatique. Le plastique a la réputation de polluer l’environnement mais le verre aggrave le changement climatique. Aucune des deux solutions n’est renouvelable (sauf pour les bioplastiques, minoritaires) et aucune n’est circulaire, bien que le verre soit recyclé dans une plus grande proportion que les plastiques.
Ceci montre qu’on ne peut pas se contenter d’un critère unique pour évaluer un matériau mais qu’il faut adopter une approche multicritère, l’ACV (analyse du cycle de vie) étant l’idéal pour disposer d’un bilan global, bien que son application soit actuellement limitée par le coût et la complexité de sa mise en œuvre. Et quand bien même on disposerait d’un bilan multicritère complet et exact, il faut encore arbitrer entre des positions qui opèrent sur des critères non équivalents : vaut-il mieux réduire la pollution au prix de l’aggravation du réchauffement climatique ou le contraire ? il n’y a pas de manière scientifique de trancher. Enfin, comme aucune industrie n’opère dans une bulle isolée, tout est en interaction et le luxe se trouve en concurrence avec des applications moins nobles pour le sourcing de ses matériaux et de son énergie.
La responsabilité de l’ensemble de ces choix incombe in fine à chaque acteur.
En conclusion, on peut déjà poser quelques bonnes pratiques :
• Favoriser le verre pour des applications durables (consigne, rechargeabilité…), car alors son bilan carbone élevé se trouve amorti sur le nombre d’utilisations.
• En revanche l’utiliser pour des applications à usage unique est contre-productif, car alors on multiplie la consommation d’énergie et les émissions de CO2.
• Viser un allègement maximum des emballages : les mentalités évoluent et un poids élevé traditionnellement considéré comme un marqueur du luxe commence à apparaître comme un gaspillage inacceptable.
• Dans ce contexte le design joue un rôle : plus un pack est proche d’une sphère et plus il est ‘efficace’, au sens du ratio contenu/contenant, et il réclame en outre de moins fortes épaisseurs. A contrario les formes très anguleuses sont inefficaces.
• Préférer les formats les plus grands possibles, qui minimisent la quantité d’emballages vs. la quantité de produit ; cette recommandation va à l’encontre du trend des mini formats…
• Concevoir les emballages pour une recyclage optimal en fin de vie en évitant les décors opaques et les accessoires inséparables.
• Définir des panoplies de défauts ‘raisonnables’.
• Incorporer du PCR est un argument purement marketing qui n’améliore en rien le bilan global du monde.
Verra-t-on un ajustement en profondeur de l’usage du verre en packaging ? l’avenir le dira mais la pression pour un usage plus responsable est déjà sensible et ne fera que s’intensifier.


Gérald Martines - IN-SIGNES

*Gérald Martines a fondé́ IN•SIGNES pour mettre à disposition des entreprises de l’univers de la beauté et du luxe une riche expérience des démarches innovation, développement durable et business développement, nourrie par 30 ans de pratique dans des fonctions de direction marketing, design, R&D, commerce et direction générale, dans plusieurs groupes internationaux, leaders de l’industrie de la beauté et du design.
Titulaire d’un master de physique, d’un diplôme d’ingénieur mécanique, d’un DEA en science des matériaux, d’un MBA, et d’un master en prospective, Gérald Martines dispose d’une vue à 360° sur les différents métiers, savoir-faire et fonctions qui doivent contribuer à la réflexion stratégique.


Notes : les chiffres indiqués ci-dessous sont des ordres de grandeur indicatifs, les chiffres réels peuvent varier selon les cas spécifiques considérés – sources recherches et calculs In•Signes

[1Un flacon de parfum de 100 ml typique se compose de 200 g de verre, qui émet 180 g de CO2 pour un four classique à gaz naturel.

[2En ordre de grandeur toujours, l’utilisation de verre recyclé réduit l’empreinte CO2 de 2,5% par tranche de 10% de PCR, pour un taux de PCR de 15% la réduction est d’environ 4%, et de 10% pour 40% de PCR.

[3Contenu CO2 de l’électricité en grammes de CO2 par kWh : Allemagne 450 ; Italie 320 ; France 120.

[4Les verriers incorporent de toute éternité une part de leur calcin interne dans leur composition, il s’agit de PIR (recyclage post-industriel). Ceci réduit la consommation énergétique et réutilise une part des rebuts de production. L’usage de PIR est une bonne pratique d’optimisation industrielle, qui ne doit cependant pas être confondue avec l’incorporation de PCR (recyclage post-consommation), qui lui est motivé par le fait de tendre vers une économie plus circulaire.